Pourquoi existe t-il deux styles (deux fédérations) de Taekwondo : l’ITF et le WTF ? Pour comprendre ce pourquoi, je vous propose de retourner dans le passé et découvrir l’historique du Taekwondo…
Le commencement, la période des 3 royaumes
Comme beaucoup d’arts martiaux, le taekwondo s’appuie sur une tradition très ancienne, et existait bien avant le Moyen Âge en Corée, à travers de nombreuses écoles, sous le nom de
Subak (수박), Subakhi, Subyok, Taekkyeon (태껸), Bikaksul, Subyokta et Gweonbeop (권법). Le passé du taekwondo est décelable à travers l’histoire orale et les objets issus de l’époque des trois premiers royaumes de Corée (Goguryeo (고구려), Baekje (백제) et Silla (신라)) ; ainsi, la découverte en 1935 par des archéologues japonais de deux tombes royales (sur les plafonds desquels sont représentés des techniques et des positions de combat) atteste sans doute l’existence d’arts martiaux originels dans le royaume de Goguryeo, d’autres trouvailles archéologiques allant dans le même sens.
Le passé historique du taekwondo est principalement retracé par les peintures murales des tombes royales de l’époque Goguryeo (royaume fondé en 37 av. J.-C. par Gojumong (고주몽), plus connu sous le nom de roi Dong Myeong Sung, et qui perdura jusqu’en 668). Les fresques de Muyang Chong et de Don Su-myo représentent des scènes d’entraînement, et celles de Samsil Chong montrent un homme dans une pose basique d’art martial. La datation historique de ces fresques oscille entre l’an 3 et l’an 427 de notre ère.
Une tribu qui avait fui de Goguryeo, Baekje, s’installa aux abords du bassin de la rivière Han (한). Le chef, Onjo-wang (온조왕), unifia toutes les tribus existantes et forma l’ancien royaume de Baekje en 18 av. J.-C. Comme dans les autres royaumes, les arts martiaux jouaient un rôle significatif dans la défense du pays. Ainsi naquit le susa (comparable au Hwarangdo de Silla). À cette époque, un autre prédécesseur du taekwondo, le subyokta, était pratiqué dans les villages du royaume sous la forme d’événement populaire, le gagnant des compétitions pouvant parfois devenir chef de village ou militaire. Ce fut néanmoins dans le plus petit des trois royaumes, Silla, que fleurirent les arts martiaux qui lui permirent de lutter avec plus ou moins de succès autant contre les attaques des royaumes voisins que contre celles des îles japonaises.
Le royaume de Silla fut fondé par Park Hyuk Geosae en 37 av. J.-C. et perdura jusqu’en 935 de notre ère. Bien qu’en plus d’être le plus petit des trois royaumes, Silla fut une société dite « primitive », celui-ci influença directement la naissance du taekwondo. Au départ désorganisé, ce royaume devint sous l’impulsion de son fondateur le plus puissant des trois royaumes, notamment grâce au développement d’une armée unie et disciplinée (dont les valeurs ne sont pas sans rappeler celles des chevaliers des chansons de geste du Moyen Âge en Occident). Le Hwarangdo (화랑도) crée par le 24e roi de Silla était d’abord une organisation militaire d’élite constituée par des soldats ayant fait leurs preuves durant la bataille. Ces jeunes recrues, appelés Hwarang (화랑) (jeunes nobles, « chevalier à la fleur »), pratiquaient une nouvelle forme d’art martial codifié, parallèlement aux autres matières institutionnelles. Leur influence ne fut probablement pas sans conséquence sur l’histoire militaire du royaume qui put tant maintenir ses ennemis à l’écart qu’unifier la Corée en 688 ap. J.-C. Notons qu’à cette époque, les arts martiaux traditionnels coréens prirent une ampleur particulière dans les institutions.
En 935, alors que tombe le royaume de Silla, se met en place la dynastie Goryeo (고려), fondée en 918 par Wang Geon (왕건). Dans les mémoires de Goryeo, un art martial proche du taekwondo fut d’abord appelé subakhi. Populaire auprès du peuple de Goryeo, il est probable que, de même qu’auparavant dans les autres royaumes, les rois aimaient assister aux compétitions de subakhi et récompenser les gagnants. Il est de notoriété que l’université nationale de Goryeo et la plus grande institution éducative sur la pensée confucéenne de l’époque, « Gukjagam », enseignaient systématiquement le subakhi jusqu’au plus haut niveau. En outre, la dynastie connut un essor commercial qui permit les échanges culturels, dont le subakhi. Inversement, le royaume subit les influences d’arts martiaux étrangers.
De la création à la scission
Le taekwondo est officiellement créé le 11 avril 1955 par le général Choi Hong Hi (최홍희), après un long travail de développement et d’unification des différentes écoles d’arts martiaux coréennes. C’est donc à la fois le fruit d’une longue tradition martiale et le fruit du travail d’un homme, le général Choi Hong Hi (최 홍 히), qui présida la réunion de 1955.
Ce dernier commence en effet sa pratique du taekkyon, un très ancien art martial coréen basé sur des techniques de jambes très complètes pendant sa jeunesse. Nous sommes dans l’entre-deux-guerres, et la Corée est encore sous la domination japonaise. Lorsque le jeune Choi part faire ses études au Japon, il rentre en contact avec le maître de karaté Funakoshi, sous la direction duquel il commence à pratiquer. De retour en Corée, il poursuit son travail sur le développement d’un nouvel art martial, combinaison du karaté et d’anciens arts martiaux coréens. Mais la Seconde Guerre mondiale éclate, et il est enrôlé de force dans l’armée japonaise. À la libération, son travail sur l’art martial continue. Mais la Corée est de nouveau plongée dans la tourmente du conflit idéologique entre Nord et Sud. Choi Hong Hi s’engage dans la toute jeune armée Sud-coréenne, qu’il contribue à fonder (il fait partie des « Pères fondateurs de l’armée coréenne »). Il commence alors à enseigner son art à ses troupes. Son but est de donner à une Corée meurtrie par l’occupation japonaise et la guerre un art martial national, mais aussi de fonder sur la base des derniers progrès scientifiques une pratique d’autodéfense rationnelle. C’est cet aspect scientifique qui donne sa spécificité première au taekwondo, puisque chaque mouvement est étudié en fonction des principes scientifiques dans le but d’obtenir le maximum de puissance.
Après la création officielle du taekwondo, le 11 avril 1955, des équipes de démonstration furent constituées. Composées des meilleurs représentants de cet art martial nouveau, elles avaient pour objet d’effectuer des tournées dans le monde entier afin de faire connaître le taekwondo. En mars 1959, une première tournée fit découvrir à Taïwan et au Sud Viêt Nam ce nouvel art martial.
En 1961-62, le taekwondo était pratiqué par les militaires coréens autant que par la population civile de ce pays, mais aussi par les forces armées américaines stationnées en Corée. Ces mêmes années, le taekwondo fut introduit à l’académie militaire de West Point (USA), l’une des plus réputées du monde.
Nommé ambassadeur en Malaisie, le général Choi introduisit le taekwondo dans ce pays, après avoir effectué une démonstration dans un stade à la demande du premier ministre Malais. En 1963, l’Association malaise de taekwondo fut créée.
En juin de la même année, une démonstration eut lieu dans le bâtiment des Nations unies, à New York, et le taekwondo fut choisi pour l’entraînement des militaires du Sud Viêt Nam.
Toujours en 1963, les associations nationales de Singapour et de Brunei furent créées.
En 1965, le général Choi prit sa retraite avec le grade de Général deux étoiles, et fut chargé par le gouvernement de Corée du Sud de diriger une tournée en Allemagne de l’Ouest, Italie, Turquie, Émirats arabes unis, Malaisie et Singapour. Les membres de son équipe de démonstration étaient Han Cha Kyo (VIe dan à l’époque), Kim Jun Kun (Ve dan), Kwon Jai Hwa (Ve dan) et Park Jong Soo (Ve dan).
Ce fut l’occasion de faire connaître le taekwondo dans ces pays, ainsi que d’établir les associations nationales qui, le 22 mars 1966 se réunirent pour former la Fédération internationale de taekwondo (ITF), à Séoul.
Les pays fondateurs de l’ITF sont donc la Corée, le Viêt Nam, la Malaisie, Singapour, l’Allemagne de l’Ouest, les États-Unis, la Turquie, l’Italie et les Émirats arabes unis. Le taekwondo fut alors reconnu comme l’art martial national de la Corée.
En 1968, le Général Choi visita la France à l’occasion du symposium sur le sport militaire et y organisa une démonstration devant les représentants de 32 pays. La même année, le Royaume-Uni forma une association nationale de taekwondo, et le général se rendit en Espagne, au Canada, aux Pays-Bas, en Belgique et en Inde. En 1969, le général effectua une tournée dans 29 pays afin de rencontrer les instructeurs de ces différents pays et effectuer les prises de vues qui illustrent la première édition de l’Encyclopédie (1972). L’année 1970 fut à l’image de 1969 : le général voyagea dans le monde entier pour faire découvrir le taekwondo et conduire des séminaires pour former des instructeurs ou perfectionner la technique de ceux-ci.
1973, une année charnière
En 1972, le Général Choi introduisit le taekwondo en Bolivie, République dominicaine, Haïti et Guatemala. Mais confronté à une situation politique particulièrement difficile dans son pays, il fut contraint à l’exil : en effet, le gouvernement sud-coréen avait désapprouvé une initiative du général Choi de faire une démonstration de taekwondo en Corée du Nord, où il s’était rendu en 1966. Le développement du taekwondo en Corée du Nord est dû notamment à Yoon Byung-in.
Afin de ne pas perdre le taekwondo, et avec l’accord des pays membres de l’ITF, le général Choi déplaça le siège de l’ITF à Toronto, au Canada, d’où il espérait pouvoir diffuser plus aisément le taekwondo dans les pays de l’Est.
Le gouvernement de Corée du Sud, qui ne voulait pas, lui non plus, perdre le taekwondo, qui était devenu un extraordinaire outil de propagande pour le pays, créa la WTF (World Taekwondo Federation ou Fédération Mondiale de Taekwondo) en 1973.
Après un remaniement total des techniques, ce nouvel art martial, totalement différent du taekwondo créé par le général Choi, commença à se répandre dans de nombreux pays.
Bénéficiant de l’appui du gouvernement, cet art martial put se développer très rapidement, surtout dans les pays de l’Ouest.
Dès lors, les deux taekwondos cohabitent plus ou moins pacifiquement. Le maintien d’un seul nom pour désigner ces deux disciplines est à la base de nombreuses confusions, ces deux arts martiaux étant très différents dans les faits. Si le taekwondo du général Choi a poursuivi son évolution scientifique, celui de la WTF a pris une tout autre direction, celle de l’olympisme.
C’est ainsi qu’il fut reconnu sport olympique en 2000.
Précisons ici que cet art martial est encore fortement majoritaire en France, où l’ITF ne se développe de nouveau que depuis une dizaine d’années.